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Derenoncourt : « mon objectif est de tout arrêter »

Auteur

La
rédaction

Date

10.07.2013

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Le célèbre winemaker Stéphane Derenoncourt s’est allongé « sur le divin » pour « Terre de Vins » n°24, actuellement en kiosques. Il retrace son parcours, partage sa vision du vin, et explique pourquoi il envisage de tout arrêter. Morceaux choisis.

Sur son enfance agitée et sur son côté « mauvais garçon ».
Je suis un gamin qui a compris qu’il était en pleine dérive mais qui se construit. Quand tu pars à cet âge-là, c’est un déracinement. Je me suis coupé de la famille – ma mère bossait dans un centre d’handicapés profonds et mon père était contremaitre dans une boite de conducteurs d’engins – je me suis coupé des copains, et des mauvais copains. Je suis entré dans une dépression. C’est la découverte de la nature qui m’a permis de me construire. J’étais un gamin rebelle. Des drames dans ma famille m’ont fait partir en vrille. J’étais un peu délinquant, un peu perdu, j’ai fumé des pétards, j’ai pris de la coke, j’ai fait quelques gardes à vue. J’étais interdit de séjour. Malgré tout ça, on m’a transmis un instant de survie, une certaine intelligence qui m’a permis de prendre des décisions fortes au bon moment.

Sur le fait qu’il conseille de nombreuses propriétés bordelaises, dont les plus grandes et les plus riches.
Je conseille beaucoup de pauvres aussi. La médiatisation fait qu’on parle de tout ce qui brille mais plus de la moitié de notre portefeuille est constitué de petits vignerons. J’ai vu toute la période d’évolution du Bordelais et la fracture en direct entre les grands crus et les petits crus artisans. Aujourd’hui, les grands crus sont devenus des produits financiers qui ne cessent de grimper mais 95% de la production bordelaise est déconnectée de tout ça et vit une période trouble. Un petit viticulteur de bordeaux n’a pas augmenté ses prix depuis le millésime 2000.

Trois vins qu’il conseille et qui mériteraient d’être davantage mis en lumière.
Un bordeaux supérieur comme Gree Laroque (Arnaud Benoit de Nyvenheim) est un vin d’une précision chirurgicale magique. Le type n’a même pas trois hectares. Aussi, La Rousselle, à Fronsac, qui appartient à une petite dame de 70 ans, Viviane Daveau : elle tient son domaine toute seule. Et château Jean Faux, en appellation bordeaux, à Sainte Radegonde. Ce sont des vins difficiles à réaliser, des vins victimes de leur appellation. Ce sont des rapports qualité-prix incroyables.

Sur ce qui le révolte.
Le fait de vivre dans une société superficielle, régie par les lois du marketing, le fait de voir qu’on parle toujours des mêmes. Je n’aime pas comment tourne le monde. On a un pays formidable et on est en train de l’abîmer. […] En voyage, le roi d‘Espagne part avec trois viticulteurs pour montrer que le vin fait partie de l’Espagne. Et notre politique, elle, met en œuvre la disparition d’une partie de la culture française. Je suis un homme en colère.

Sur son projet de tout arrêter à 50 ans, comme il l’avait déjà évoqué.
Je suis seulement un peu en retard. Quand on travaille 80 heures par semaine, cela prend de la place sur des choses plus privées. J’en accepte l’idée si cela dure moins longtemps. Je m’étais fixé le cap des 50 ans pour faire autre chose. Aujourd’hui, j’ai des personnes autour de moi, mes assistants sont devenus mes associés, Simon Blanchard, Julien Lavenu et Frédéric Massie. De plus en plus, ils prennent des responsabilités dans la boîte et vont la faire tourner. Le fait d’avoir fait de Derenoncourt une marque est de suivre le modèle des chefs. Si tu vas bouffer une omelette truffée chez Ducasse, ce n’est pas Ducasse qui bat les œufs. Je redoute de me lever un matin sans avoir l’envie. C’est un métier compliqué, qui demande beaucoup de voyages. Mon objectif est d’arrêter. Il me faut le programmer. Je suis très organisé sur les grandes idées de ma vie. Cela reste au programme. Il y trois ans, je n’avais pas soupçonné où j’en serai aujourd’hui. Tout est allé très vite. En 10 ans, on est passé de 7 à 90 clients ! J’ai besoin de temps. Je vais sacrément diminuer mon temps de travail. Il y a plein de clients que je ne verrai plus.

Propos recueillis par Rodolphe Wartel. Photo Nicolas Tucat.
Interview à lire en intégralité dans « Terre de Vins » n°24, actuellement en kiosques.

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