Jeudi 10 Octobre 2024
(photos M. Doumenge)
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20.03.2021
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Sous la contrainte de la Covid-19, les Grands Jours de Bourgogne, manifestation incontournable du vignoble bourguignon destinée aux professionnels du monde entier, se sont transformés cette semaine en « Grands Jours en Caves ». Un format plus intimiste articulé autour de rendez-vous individuels dans les domaines. Près de 600 caves ont ouvert leurs portes du 15 au 19 mars.
Dans un contexte sanitaire qui, depuis un an, a sinistré la plupart des événements du vin en France, la Bourgogne a voulu garder le contact avec les journalistes et acheteurs professionnels dans le cadre de ces « Grands Jours en Caves » qui viennent de s’achever. Cinq jours destinés à maintenir le lien entre vignerons et prescripteurs, alors que l’édition 2020 des Grands Jours de Bourgogne avait dû être annulée et en attendant un « retour à la normale » pour le retour de la manifestation sous son format habituel, du 21 au 25 mars 2022.
586 opérateurs ont accepté d’ouvrir leurs portes cette semaine (545 domaines, 36 maisons de négoce, 5 coopératives), représentant les vignobles de la Côte de Nuits (120), de la Côte de Beaune (166), du Chablisien (128), du Mâconnais (109) et de la Côte Chalonnaise (63). Autant d’ambassadeurs d’une Bourgogne qui fait mieux que résister à la crise, fourmille de projets ambitieux, regarde l’avenir avec confiance et qui est fière de présenter ses millésimes récents : 2018, 2019, 2020 sur fûts…
Ces trois millésimes constituaient le principal fil conducteur de cette semaine en terres bourguignonnes pour la rédaction de Terre de Vins. Une quinzaine de rendez-vous en Côte de Beaune, Côte de Nuits et Mâconnais, de superbes pinots noirs et de grands chardonnays (et vice versa), des mosaïques de terroirs déclinant d’infinies subtilités, des paysages doux et veloutés, des caves silencieuses que seul le bruit des bouteilles que l’on débouche vient perturber. Des visages, des sourires, des histoires, des émotions, des projets. En attendant d’y revenir de façon plus détaillée, voici quelques morceaux choisis.
Auxey-Duresses – Domaine Lafouge
Rien de tel, pour une entrée en matière, qu’un domaine familial à cheval sur la cinquième et la sixième génération. Gilles Lafouge, récemment rejoint par son fils Maxime, conduit un vignoble de 12 hectares dont le cœur se situe à Auxey-Duresses – le solde à Meursault et Pommard. Gilles, qui a commencé à travailler avec son père en 1987, a significativement étendu la superficie du vignoble, qui était initialement de 7 hectares. Travaillant sur les deux couleurs, en particulier des blancs issus de beaux terroirs jouxtant Meursault, Gilles Lafouge se veut un « ambassadeur » d’une appellation qui a une grande carte à jouer parmi les outsiders qui montent en Bourgogne, encore accessibles en prix. Son fils Maxime, qui a rejoint l’aventure familiale il y a un an et demi après avoir fait ses classes en Nouvelle-Zélande et en Oregon, espère apporter sa propre dynamique, notamment en lorgnant vers la biodynamie. La gamme, assez large, de 14 vins, s’étend d’un aligoté plein de charme (env. 10 €) à un rouge Auxey Premier Cru « Les Duresses » d’une belle densité (env. 40 €).
Nous avons aimé : Auxey-Duresses blanc « Les Boutonniers » 2018. Profil minéral, aiguisé, signé par la pierre à fusil, ce blanc issu de vignes quinquagénaires se distingue par son côté élancé, fin et long. Finale crayeuse, sapide et saline. Très élégant ! Environ 30 €.
Beaune – Philippe Pacalet
« Le vin, c’est un produit pour gens civilisés ». Philippe Pacalet annonce la couleur. Solidement planté derrière ses échantillons, dans le frais de sa cave, la tignasse en bataille, celui qui a eu l’audace de lancer, il y a vingt ans exactement, sa structure de « négociant-vigneron », chérit sa liberté de parole et d’action. Travaillant avec quelque 25 domaines pour une trentaine de références (80% en rouge, essentiellement en Bourgogne mais aussi en Rhône Nord pour l’amour de la syrah, et en Beaujolais où il possède quelques vignes), Philippe Pacalet s’occupe de A à Z de vignes qui ne sont pas les siennes pour produire des vins qui lui ressemblent. Figurant parmi les précurseurs du « sans soufre », revendiquant une viticulture la plus propre possible sans s’attacher à un label (« mon label, c’est quand les consommateurs rachètent nos vins, à part cela je ne me réclame de rien »), il croit avant tout à l’expression identitaire des terroirs et du vivant. Ce qui constitue déjà un sacré programme.
Nous avons aimé : Corton Bressandes Grand Cru 2018. C’est un grand cru majuscule, dont Philippe Pacalet travaille un hectare depuis 2016. Une délicatesse et une séduction presque orientale, avec son côté bois de rose, résineux, où se profilent des notes florales entêtantes et capiteuses. Une trame d’une remarquable finesse, du fond, et une conclusion tout en fraîcheur, sur l’eucalyptus. Environ 290 €.
Volnay – Domaine Marquis d’Angerville
1507. On remonte au moins à cette date pour voir apparaître la trace du vignoble historique qui appartenait aux Ducs de Bourgogne et qui, depuis, se fait appeler « Clos des Ducs ». Quarante-deux ouvrées qui sont arrivées entre les mains de la famille Dumesnil en 1804, laquelle par alliance, se renomme d’Angerville en 1906. Farouchement indépendant du négoce dès la première moitié du XXème siècle, le domaine est présidé depuis 2003 par Guillaume d’Angerville, secondé, depuis 2005, par l’œnologue François Duvivier. Dès 2006, ils décident de faire basculer les 16 hectares de vignes en biodynamie – certification obtenue en 2012. Sur ces 16 hectares, « un parcellaire très compact entre le sud de Pommard et le nord de Meursault », 11 se trouvent en Volnay Premier Cru : l’ADN de Marquis d’Angerville se trouve là, avec une volonté de travailler sur la vibration, l’énergie, l’élégance, autant de qualificatifs qui se sont imposés durablement avec le passage en biodynamie. Les vins, dégustés sur le millésime 2019 et pris sur fûts, sont bel et bien dans la continuité de cette profession de foi.
Nous avons aimé : Volnay Premier Cru Champans 2019. Possédant près de 4 hectares sur ce terroir au nord des Caillerets, cette cuvée emblématique du domaine est issue de deux parcelles s’étendant de haut en bas du climat des Champans et du coteau. C’est un orchestre de chambre qui joue parfaitement à l’unisson : à la fois tendre, électrisant et vivifiant, ce vin au parfum sensuel et subtil est une quintessence de Volnay, à la fois élégant, juteux, tonique, et à la persistance déroutante. Environ 130 €.
Pommard – Domaine Fanny Sabre
Fanny Sabre m’accueille dans un éclat de rire, pipette en main, et m’emmène directement en cave pour goûter en discutant. Bonne idée, autant faire les deux en même temps ! « Attention à la tête dans les escaliers ! » Bon, elle est plus grande que moi, mais elle ne risque pas de se cogner, elle slalome entre les fûts et connaît les lieux comme sa poche : c’est en 2013 qu’elle a installé son cuvier actuel dans le village de Pommard. Revenons un peu en arrière. C’est le père de Fanny qui s’était installé, d’abord sur 4 hectares, dans les années 1980. Son décès prématuré, en 2000, a obligé sa mère à reprendre la main, avec l’aide de Fanny (qui avait alors 16 ans), de son frère et de sa sœur. De 2001 à 2005, Philippe Pacalet, on en a parlé plus haut, vient vinifier : « j’en ai gardé le goût des vendanges entières, des levures indigènes et une maîtrise absolue de l’hygiène en cave », souligne Fanny. Passage en bio dès 2001, certification en 2004, et, en 2006, Fanny reprend les choses en main, après des études de droit et avoir appris à faire du vin « en observant ». Elle se lance, affine son style, affine sa gamme. Relooke ses étiquettes en partie avec Michel Tolmer en 2018. Actuellement à la tête de 7 hectares (dont un peu de fermage), elle tente des choses : un pet’nat’ de pinot noir (« Camille, bulles rousses »), un vin orange en amphores pour la première fois en 2020… Un doux vent de liberté.
Nous avons aimé : Beaune Clos des Renardes rouge 2018. Si Pommard est son fief, Fanny Sabre s’exprime avec talent sur ce terroir beaunois, le Clos des Renardes, et dans les deux couleurs ! On adore cette expression de pinot noir, à la fois nette, franche et gourmande. Si le 2020 goûté sur fût est « un câlin dans la bouche », le 2018 est une démonstration de buvabilité. Un vin que l’on a envie de boire, de partager, dont on a envie de parler avec les amis. Environ 35 €.
Pernand-Vergelesses – Domaine Rapet
Vincent Rapet semble plutôt appartenir, de prime abord, au registre des vignerons « taiseux ». Le masque sur le visage, gestes barrières en sus, n’aide pas à simplifier les premiers échanges, mais rapidement, lorsqu’on se met autour de l’essentiel (les vins), la parole se libère et la chaleur humaine se diffuse. Dans sa famille, on fait des vins de Bourgogne depuis le XVIIIème siècle – permettez que l’on prolonge encore un peu l’usage des chiffres romains. À la tête d’une vingtaine d’hectares, à parité en blanc et rouge, il décline avec expertise la finesse des terroirs de Pernand-Vergelesses, Corton, Corton-Charlemagne, Aloxe-Corton, mais aussi Chorey-les-Beaune, Savigny-les-Beaune. Pour comprendre, carte à l’appui à défaut d’aller dans les vignes (la pluie battante nous en dissuade), il faut déguster, et si possible remonter le temps. Vincent ouvre des 2003, des 2008, des 2006, et pour la leçon de choses, un Corton Grand Cru 1964 – le grand pinot à l’épreuve du temps. On repart de chez Vincent Rapet empli de tout ce que les mots ne sauraient résumer, et en quelque sorte, plus civilisé.
Nous avons aimé : Corton-Charlemagne Grand Cru 2006. Le grand chardonnay en majesté, avec une quinzaine d’années de patience pour lui permettre d’exprimer sa complexité. Derrière la minéralité rocheuse et l’amande grillée, se profilent rapidement des déclinaisons de plantes infusées, de la verveine, de la camomille, puis une pêche compotée qui annonce l’amplitude en bouche, l’onctuosité, la chair pleine et délicate, aromatique, fondue, saline. Un vin de belle classe, énergique et gracieux, complet. Environ 100 €.
Morey Saint-Denis – Domaine Hubert Lignier
Il y a ce quelque chose d’indéfinissable chez les grands vignerons de la Côte de Nuits, cette combinaison de calme, d’humilité et de concentration, qui nous fait croire qu’ils finissent par ressembler à la terre où ils sont nés. Laurent Lignier est de ceux-là. Cela fait cinq générations que l’on fait du vin dans sa famille, depuis son arrière-arrière-grand-père Jacques Lignier. Son fils Sébastien, qui a 20 ans et suis un cursus viti-œono, incarnera sans nul doute la sixième génération. Le père de Laurent, Hubert Lignier (qui a donné son nom actuel au domaine), aura connu deux événements majeurs : la partition du vignoble par son propre père avec ses oncles, et le début de la mise en bouteille, qui s’est systématisée dans les années 1980. Laurent, qui a fait notamment ses armes dans le négoce (chez Albert Bichot), a repris les rênes du domaine familial en 2004, suite au domaine de son frère Romain. Depuis, il a a amorcé un passage en bio (certifié en 2019) et étendu l’exploitation : 11 hectares à ce jour – dont des parcelles récemment acquises sur Beaune, Volnay, Monthelie, Nuits Saint Georges – plus environ 3 hectares d’achats de raisins. Il en ressort une gamme fournie, d’une trentaine de références, dont depuis 2019 l’étonnante cuvée Symbiose, assemblage de vins de la Côte de Nuits et de la Côte de Beaune. En dehors de cette expérience, Laurent Lignier est fortement attaché à l’expression des climats de la Côte de Nuits, en particulier de Morey Saint-Denis, cœur battant de son vignoble. Travaillant de façon peu interventionniste, sans pompage, ni collage, ni filtrage, privilégiant de longs élevages sur lies et un tiers de vendanges entières dans ses vins, Laurent signe des vins qui ressemblent à l’endroit d’où ils viennent. Et qui lui ressemblent.
Nous avons aimé : Clos de la Roche Grand Cru 2019. Pris sur fût, encore en cours d’élevage, et déjà si beau. C’est la (double) parcelle emblématique du domaine, 90 ares au total, sur un sol maigre composé de calcaires blancs, d’argile et de marne. Le vin est incroyablement tactile, soyeux, tout en puissance contenue et en verticalité veloutée. Il s’étire, s’étire encore, semblant avoir l’éternité devant lui. Depuis 2017, Laurent Lignier isole une vingtaine d’ares de vignes de 1955 pour une cuvée à part, encore plus dense, plus concentrée, plus tellurique. À partir de 400 €.
Morey Saint-Denis – Clos des Lambrays
Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir droit à une « master class » privative dans la cave du Clos des Lambrays. Ce domaine à l’histoire foisonnante voit ses origines remonter au moins à 1365, date à laquelle les archives des moines de Citeaux attestent de son existence. Vendu comme bien national lors de la Révolution Française, le clos passe au milieu du XIXème siècle entre les mains de la famille Rodier, qui va patiemment le réunifier. Au XXème siècle, le domaine change de mains à plusieurs reprises, est officiellement reconnu en 1981 comme le 33ème Grand Cru de Bourgogne, jusqu’à être repris par le groupe LVMH et la famille Arnault en 2014. L’actuel propriétaire possède un quasi-monopole sur le clos, puisqu’il en possède 202 ouvrées sur un total de 203 – soit 8,66 hectares. En ajoutant 1,7 hectare supplémentaire à Morey Saint-Denis et moins de 70 ares à Puligny-Montrachet, cela hisse l’ensemble du foncier à un peu plus de 11 hectares. Dirigé par Thierry Brouin de 1980 à 2017, puis par Boris Champy, le domaine est piloté depuis mars 2019 par Jacques Devauges, qui avait officié pendant les quatre années précédentes au sein d’un autre clos prestigieux et voisin, le Clos de Tart. Ayant engagé dès son arrivée une bascule vers le bio et la biodynamie (ce qui a demandé de concevoir un équipement ad hoc pour s’adapter au caractère accidenté du relief), avec des conversions en cours, Jacques Devauges s’emploie à aller encore plus loin dans l’exploration du parcellaire exrêmement riche du clos : il a délimité douze sous-parcelles qui sont traitées comme autant de vignobles différents, tant dans l’approche viticole que dans la vinification. La construction, en cours également, d’une nouvelle cuverie devrait permettre de coller encore plus précisément à cette précision du terrain – fin des travaux prévue pour la vendange 2022. En attendant, cette approche « au scalpel » du terroir des Lambrays se traduit par une dégustation de chaque lot séparé, avant de découvrir le tout assemblé – de main de maître – par Jacques Devauges. Master class, vous dit-on.
Nous avons aimé : Clos des Lambrays Grand Cru 2020. Pris évidemment sur fûts, les vins sont en cours d’élevage mais expriment avec éclat leur caractère individuel. Entre une parcelle « Plante Bas » sur la droiture et le croquant et une parcelle « 80 ouvrées dessus » juteuse, sanguine et énergisante, il n’y a que quelques mètres d’écart et pourtant un monde. Tous les lots assemblés (80% vendanges entières) donnent bien entendu une somme qui est supérieure à l’ensemble des parties. Tout en race et vibration, trame de velours sur ossature d’architecte, ce grand vin de lieu(x) aux multiples facettes est un univers en soi. Autour de de 300 €.
Nuits Saint-Georges – Édouard Delaunay
La belle histoire. Maison de négoce fondée en 1893, ayant pris résolument son envol dans les années 1920 et 1930 en défrichant les exportations des grands vins de Bourgogne, Edouard Delaunay est dans la même famille depuis près de 130 ans, la cinquième génération étant actuellement incarnée par Laurent Delaunay. Avec un détail d’importance : au début des années 1990, sous la pression de difficultés familiales et de la crise économique, Laurent Delaunay avait dû revendre la maison au groupe Boisset. Avec son épouse, ils se sont alors lancés dans de nouvelles aventures dans le Languedoc, créant la marque « Les Jamelles » en 1995 et la structure Abbotts & Delaunay. En 2003, retour en Bourgogne, avec la reprise d’une structure de commercialisation et de distribution, baptisée DVP (jusqu’à 180 vignerons représentés). Puis, en 2016, le coup du destin : Laurent Delaunay croise Jean-Claude Boisset, qui accepte de lui revendre la marque et les bâtiments. La maison Edouard Delaunay revient dans le giron familial, et la relance se fait pied au plancher. Rénovation de l’outil technique, refonte de l’équipe, remise à plat du réseau d’approvisionnement, tout est repris à zéro mais avec un grand dynamisme ! Achat de raisin, parcelles suivies, les vendanges sont organisées et gérées par la maison, qui se présente comme un « négociant-éleveur ». Dès le millésime 2017, la réussite est au rendez-vous, et Edouard Delaunay est aujourd’hui présent dans une quinzaine de pays. La gamme – une quarantaine de références – se partage entre des vins de dcépages et d’assemblages (environ 150 000 bouteilles) et des villages, premiers crus et grands crus (environ 50 000 bouteilles). En 2019, 2,20 hectares ont été acquis à Pommard. Et des projets de rénovation sont actuellement en cours pour le bâtiment jouxtant la cuverie, pour proposer notamment un œnotourisme sur mesure, à proximité de la maison familiale que les Delaunay n’ont jamais quittée. Retour à l’envoyeur !
Nous avons aimé : Nuits-Saint-Georges Premier Cru « Les Saint-Georges » 2018. De la profondeur, un nez plongeant, balsamique, presque résineux, avec des notes de pâte de fruis et de cassis bien mûr. De la gourmandise mais aussi de la structure, avec une belle présence tannique enrobant une matière tapissante et digeste. Environ 100 €.
Gevrey-Chambertin – Domaine Jean-Louis Trapet
Si vous devez tomber en panne de voiture lors d’un séjour en Bourgogne, faites en sorte que cela arrive au cœur du village de Gevrey-Chambertin et à trois minutes de chez Jean-Louis Trapet. C’est ce qui est arrivé à l’auteur de ces lignes et, une fois digérée la gêne de la situation, on remercie le sort d’avoir « échoué » aussi près d’un vigneron aussi chaleureux. La famille Trapet est installée depuis 1859, date à laquelle l’arrière-arrière-grand-père Louis Trapet a acheté ses premières vignes. Chaque génération a apporté son innovation ou sa petite révolution : l’instauration de la greffe pour lutter contre le phylloxéra, l’extension du vignoble (bonne idée d’acquérir 4 hectares en Chambertin lorsque c’était encore à portée de bourse), le développement de la mise en bouteille… En 1989, Jean-Louis Trapet arrive à la tête d’un domaine d’un peu plus de 14 hectares. Il en possède aujourd’hui une vingtaine, auxquels il faut ajouter des vignes en Alsace, dont nous vous avons récemment parlé ici. Ses deux fils, Pierre et Louis, 28 et 26 ans, incarnent la relève et fourmillent d’idées. Les vins sont en biodynamie depuis 1994, mais ils sont surtout sublimes. Jean-Louis aime parler de « douceur » lorsqu’il évoque son approche du métier de vigneron, et c’est peu dire que ce terme est aussi bien adapté à l’homme qu’à ses vins. Il y a quelque chose d’éminemment profond, sincère et émouvant dans les jus dégustés, et ce, dès la cuvée « A minima » 2020, une combinaison gamay / pinot en jarre et sans soufre. De l’humanité en bouteille.
Nous avons aimé : Chambertin Grand Cru 2019. Des vignes présentes dans la famille Trapet depuis 1919. Cent ans, ça se fête, si possible avec un beau millésime. Ce Chambertin est issu de trois parcelles s’étirant du bas jusqu’en haut du coteau. Une palette qui lui confère une remarquable complexité. C’est un grand vin tactile, tout en toucher de bouche, dont la texture veloutée et ciselée est habillée de tannins de grande classe, portée par une magnifique trame acide, entre salinité électrisante et tour de moulin à poivre entêtant. De la race, de l’allant et de l’allonge. À partir de 450 €.
Pouilly-Fuissé – Domaine Saumaize-Michelin
Lorsque l’on passe de la Côte de Nuits au Mâconnais, c’est une autre Bourgogne qui se dessine, tant dans les paysages que dans l’histoire et la destinée des propriétés. Au domaine Saumaize-Michelin, niché entre les roches de Solutré et Vergisson, Roger Saumaize et son épouse Christine, rejoints depuis peu par leurs enfants Vivien et Lisa, produisent des vins figurant parmi les fleurons de l’appellation Pouilly-Fuissé, auxquels s’ajoutent des cuvées en Saint-Véran et Mâcon. Tout commence en 1977, lorsque Roger reprend le métayage familial. Il faudra beaucoup de travail et de patience avant de pouvoir devenir propriétaires de leurs vignes (11 hectares aujourd’hui). Des rencontres décisives, successivement avec le vigneron iconoclaste Jean-Marie Guffens, le pédologue Yves Hérody et le biodynamiste Pierre Masson vont permettre à Roger d’échafauder sa propre approche des terroirs et de la conduite de la vigne. Pragmatique, Roger Saumaize suit une influence biodynamique, sans avoir jusqu’ici enclenché de certification. Sa culture du vin est celle du temps long, privilégiant des élevages sur lies d’au moins un an pour ses blancs de belle expression, miroirs de ce « paradis des géologues » qu’est le vignoble du Mâconnais.
Nous avons aimé : Pouilly-Fuissé « Les Crays » 2019. Reconnu Premier Cru de l’appellation Pouilly-Fuissé à partir du millésime 2020, Les Crays s’impose, de l’avis même de Roger Saumaize, comme la « grande dame » de ses parcellaires. Doté d’une rectitude impressionnante, de beaucoup de nerf et d’allure, ce chardonnay puissant, riche et intense combine la partie haute de la côte et une veine d’argile qui s’harmonisent en une très belle harmonie. Taillé pour la garde. Environ 25 €.
Pouilly-Fuissé – Domaine Ferret
Le domaine Ferret, nous vous en parlions ici il y a quelques mois, doit beaucoup aux femmes. Même si c’est un homme, Antoine Ferret, instituteur à Solutré, qui créa le domaine en 1840, ce sont des femmes qui ont contribué à en écrire les plus beaux chapitres. À commencer par Jeanne Lorton, épouse Ferret, qui en prit les rênes dans les années 1930 jusqu’à son décès en 1993. Introduisant un énorme travail sur le parcellaire, distingué en « têtes de cru » et « hors classe » bien avant que Pouilly-Fuissé examine la question d’établir une hiérarchie en Premiers Crus, initiant la mise en bouteille à la propriété dès 1942, Jeanne Ferret a durablement marqué l’histoire du domaine et en reste encore la figure inspirante. Sa fille Colette prit sa suite, de 1993 à 2006, mais son décès sans descendance ouvrit une âpre concurrence pour la reprise du vignoble. C’est finalement la maison Louis Jadot qui emporta la mise en 2008, confiant les rênes du Domaine Ferret à… une femme, Audrey Braccini. À la tête de 18 hectares, quasi exclusivement en appellation Pouilly-Fuissé, détaillés en près de 50 parcelles différentes, Audrey défend une viticulture de haute précision, pour des vins ciselés et d’une remarquable pureté. La nouvelle cuverie, inaugurée en 2012, lui offre l’outil adéquat pour poursuivre cette belle histoire presque bicentenaire.
Nous avons aimé : Pouilly Fuissé « Les Ménétrières » « Hors classe » 2018. Également reconnu Premier Cru à partir de 2020, le climat Les Ménétrières est un terroir emblématique de Fuissé. Assemblant trois types de sols différents (argiles, marnes, calcaires), il associe puissance et allonge, ainsi qu’une étonnante complexité aromatique, où la chair mûre se marie à la fraîcheur. La matière s’étire avec élégance, jusqu’à une finale très désaltérante. Remarquable ! Environ 50 €.
Poully-Fuissé – David Bienfait
Jeune vigneron installé depuis une dizaine d’années, originaire du Mâconnais mais pas d’une famille de vignerons, David Bienfait est un « self made winemaker » souriant et talentueux. Aujourd’hui à la tête de 6 hectares, dont la moitié en Mâcon Villages, 2,70 ha en Pouilly-Fuissé et quelques dizaine d’ares en Saint-Véran, il dispose surtout de 0,65 ares sur Les Crays, récemment reconnus Premiers Crus. Certifié HVE et envisageant une conversion bio à partir de 2021, David avance avec patience. Sa cuverie, qui date de 2015, est en cours d’extension pour accueillir de nouveaux bureaux et un peu de réceptif. Un vigneron à suivre.
Nous avons aimé : Pouilly-Fuissé « Les Crays » 2019. Seule cuvée vinifiée intégralement en fûts (environ un an, 20% bois neuf, 20% un vin, etc.) puis mise en masse 3-4 mois en cuve avant la mise pour « fondre » l’élevage, Les Crays exprime bien tout le potentiel de son terroir. Tendu, salivant, net, droit et traçant, doté d’une jolie gourmandise tout en étant se révélant salivant en finale, c’est un très joli blanc sur un millésime pourtant très solaire pour les chardonnays du Mâconnais. Le 2016, goûté dans la foulée,témoigne d’un beau potentiel de garde. Environ 18 €.
Viré-Clessé – Domaine Guillemot-Michel
Elles ne sont que trois familles de vignerons dans le village de Quintaine, au cœur de l’appellation de Viré-Clessé. Parmi elles, la famille Guillemot-Michel, pionniers de la biodynamie dès les années 1990 (certifiés Demeter depuis 1992, abandonné depuis au profit de Biodyvin). Pierre et Marc, les parents, Sophie, leur fille, et Gautier, leur gendre, sont tous œnologues. Ils ont donc une approche à la fois technique, pragmatique et rationnelle de la biodynamie. Beaucoup de travail à la vigne, des sélections massales depuis 40 ans, une équipe de huit personnes très impliquée, des têtes bien faites et beaucoup d’idées : il n’en faut pas plus pour faire du domaine Guillemot-Michel l’une des références de son appellation. La gamme de vins est resserrée autour de la cuvée emblématique, Quintaine, qui représente 90% de la production, accompagnée de « Retour à la terre » (blanc sur sols argileux, élevé en jarres de terre cuite) et de « Charleston » (vignes centenaires en demi-muids). Sans oublier une petite gamme d’alcools intégralement faits maison : marc et fine de bourgogne, mais aussi un « djinn » associant eau-de-vie de chardonnay, genièvre, coriandre, zestes d’agrumes, bourgeons de cassis… La créativité est de mise !
Nous avons aimé : Viré-Clessé « Quintaine » 2017. Très beau caractère dans ce chardonnay ayant suivi plus de 4 heures de pressurage lent, à la fois mûr, charnu et tendu. À ce stade moins exotique et plus avenant que le 2018, ce Quintaine déploie une matière pleine et sapide, portée par une très belle colonne vertébrale. Résiste magnifiquement à plusieurs jours d’ouverture. Environ 23 €. À noter également : Charleston 2019, juteux, droit, belle sucrosité et fraîcheur.
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